Le temps tombé du ciel : semaine 9 / La vie au temps du coronavirus / Photographe documentaire à Montréal

9 mai

La semaine dernière, ton père t'a promis qu'il te fabriquerait « quelque chose en bois » cette fin de semaine. Nous avons eu l'idée de rendre l'utile à l'agréable : fabriquer un panneau « Attention aux enfants » pour mettre à l'entrée de notre ruelle – que certains automobilistes prennent pour une piste de course. Depuis le temps qu'on en parlait!

Le plan était simple : prendre une retaille de panneau de contreplaqué qui traîne dans la remise, le couper à une taille raisonnable, le peindre en blanc puis écrire et dessiner dessiner dessus pour le transformer en outils de sensibilisation au vivre-ensemble.

Aujourd'hui, la première étape : couper le panneau de bois. Et toi qui s'exclame : « C'est la première fois que je vois quelqu'un qui scie du bois comme ça. » Quelle bonne occasion de te rentrer ta première écharde!

Plus tard, j'ai aussi capté quelques souvenirs d'une promenade de fin de journée, et cette lumière trop belle près de la ruelle des lilas – comme on l'appelle. Je ne me tannerai jamais de ta petite silhouette.

10 mai

À 7h30 ce matin, j’ai été réveillée par ton père qui sortait du lit, en douce, pour se rendre à ta chambre. Je ne t'avais pourtant pas entendu appeler.

Tout de suite, vous vous êtes mis à chuchoter. Dans la cuisine, j'ai entendu des bruits de plastique froissé, des ricanements, et encore plus de murmures mystérieux. Une partie de moi essayait de déchiffrer ce que vous faisiez, une autre me disait de me boucher les oreilles pour garder la surprise totale : ce n'est pas la fête des mères tous les jours!

Quelques minutes plus tard, tu venais me tirer du lit : « Bonne fête Maman! » (« Il sait que ce n'est pas ta fête, mais il voulait absolument te le dire comme ça! »)

Sur la table de la cuisine, trônait un beau bouquet de roses – séchées -, une carte et une bouteille de bulles pour le bain (« naturelles », s'il vous plaît!). Je crois bien qu'un de ces beaux cadeaux va bénéficier à toute la famille!

Après avoir mangé le bon petit déjeuner que vous m'avez préparé, nous avons poursuivi notre œuvre de ruelle : peinturer le panneau ce bois. Chacun à notre pinceau, nous avons étendu le blanc le plus immaculé du moment. La suite dans quelques jours.

En après-midi, tu as demandé à ton père quand il te ferait « quelque chose en bois »... Tu n'avais pas compris - ou n'acceptais pas - que ce serait la pancarte pour la ruelle. Ton père a rebondi, te demandant ce qui te ferait plaisir d'avoir comme jouet : un avion!

La retaille de la retaille de contreplaqué devint des ailes. Un bâton de bois trouvé sur le bord du chemin, la carlingue. Tu as aidé à scier, sabler, visser, clouer, avec beaucoup d'attention et de fierté.

Question de me faire plaisir, j'ai demandé à passer un peu de temps avec vous au salon, à manger du pop-corn pendant que je gratouillais la guitare – que je ne touche presque jamais ces dernières années.

Puis, tu nous en as sorti une bonne. Enfilant ton petit masque en tissu, tu t'es exclamé : « Je joue que je vais à l'épicerie! »

Ces bonheurs simples sont les plus précieux.

11 mai

Ah, ce qu'on ne connait pas bien la faune montréalaise – pas encore, du moins. Se balader avec toi nous rapproche chaque jour un peu de la biodiversité locale, à force d'observations et de questionnement. Il ne manque plus qu'à chercher quelques réponses...

Ce matin, alors, une autre petite coquille d'oeuf turquoise s'est trouvée sur notre chemin. À la différence de la dernière fois, il s'agissait aujourd'hui d'une moitié, toute propre celle-là. Est-ce que l'oiselet était bien né? Était-il encore vivant, à profiter du printemps? S'était-il déjà envolé?

Nous avons cherché un nid dans les buissons environnants, mais nous n'avons rien trouvé. Peut-être étaient-ce d'autres enfants curieux qui l'avaient déplacé jusqu'aux abords du terrain de soccer du collège de Maisonneuve? Un prédateur?

À la maison parfois, tu me fais penser à un oisillon qui observe le monde du haut de son nid.

12 mai

Depuis quelques temps, nous apercevons régulièrement ce mignon gros minou, un peu plus haut dans la ruelle. Le pauvre persan est en laisse, attaché derrière chez lui. Il est sociable et bavard – et allergène, de mon point de vue. Pour l'enfant sans animal que tu es, c'est une bête fort attachante (!). Tu as néanmoins intérêt à ne pas trop t'attacher, malheureusement, car il paraît qu'il déménage au premier juin.

*

L'épisode du bain s'est trouvé grandement amélioré depuis la fête des mères : tu es devenu fan des bulles! En plus de te faire glisser dans le fond du bain, le savon mousse nous fournit une projection dans le futur : toi avec une barbe – blanche.

13 mai

La semaine dernière, ta grand-mère a eu la très bonne idée de t'envoyer un nouvel ensemble de legos par la poste. Le hic? Les frais de poste semblaient démesurés pour le cadeau, alors elle a décidé de le garder chez elle jusqu'à nos retrouvailles – et de t'envoyer un message vidéo pour t'annoncer la bonne nouvelle.

Malheureusement, cette bonne intention t'a apporté beaucoup de tristesse... Par un beau hasard, un petit ménage de garde-robe m'a fait tomber sur un mini ensemble de blocs que tu avais reçu alors que tu étais beaucoup trop petit pour ces manipulations. La joie quand tu as vu la petite boîte! Sur l'image, la voiture de course, le monstre et le moulin t'ont vite donné envie de te mettre au travail. En 30 minutes, tu avais réalisé les trois constructions!

Ton autre grande force restera la trottinette, que tu maîtrises mieux que jamais. Tu prends parfois une telle vitesse dans les pentes! Tu mets ton sens de l'équilibre à l'épreuve en faisant l'arabesque roulante, ou encore en t'acroupissant, les pieds comme en rouli-roulant.

Je t'appelle mon trottineur acrobatique. Tu préfères que je t'appelle « Trottineur aquatique de vitesse » (!). Pourquoi pas!

Et j’adore quand tu trottines avec ton ombre.

14 mai

Mai avance, et ton appréciation des pissenlits ne tarit pas. Tu aimes les sentir et t'en mettre plein la figure. Depuis quelques jours, tu peux maintenant faire voler leur graines – en soufflant, en les arrachant, en secouant les tiges - et ça t'amuse franchement.

Ce matin, en route vers le parc Morgan (encore la grande aventure), nous sommes passés devant une école où on donnait des objets perdus aux passants. De loin, je devinais une prof bénévole (elles donnent leur temps sans compter), postée entre le trottoir et la clôture, à lancer les objets choisis.

Au parc, il y avait plus de gens cette fois-ci. Il faisait beau, et certains en profitaient pour faire un pique-nique ou se mettre en manche courte à l'abri du vent. En trottineur aquatique de vitesse / acrobatique, tu dévalais la pente tellement vite, et sur une patte de surcroit... que je n'osais même pas regarder. Tu étais magnifique, confiant, libre. Ça nous a fait du bien.

Comme le parc est loin de la maison, nous n'y restons jamais bien longtemps. Surtout que notre vitesse de croisière est celle de la tortue. Déjà à la fontaine côté Sainte-Catherine, tu voulais grimper, observer l'entretien en cours, sauter.

Pour te faire avancer de quelques mètres, je t'engage en pointant le théâtre Denise-Pelletier de l'autre côté de la rue :

  • « Est-ce que tu crois que c'est un vieux bâtiment ou un bâtiment nouveau? »

  • « Vieux. »

  • « Qu'est-ce qui te fait dire ça? »

  • « Parce qu'il y a des vieux dessins. »

Bien vu, cher enfant! C'est le début d'une sensibilité architecturale, que nous travaillerons tous les deux – avec ton père aussi, qui est pas mal à ce chapitre.

*

Aujourd'hui, j'ai procédé à un envoi de masse de beaux portraits d'enfance par la poste. Après un décalage de plusieurs semaines dû aux fermetures des services non-essentiels, j'ai enfin pu rassembler ces souvenirs de la vie « d'avant » : des frimousses heureuses et insouciantes photographiées à la veille du confinement soudain. Je suis heureuse que mon travaille serve à se souvenir du beau, de amis, du personnel tellement bienveillant des garderie. De la beauté de l'enfance, justement.

*

Pourquois du jour :

  • « Pourquoi les adultes traversent la rue tous seuls? »

  • « Pourquoi je suis un garçon? »

15 mai

Bien que les beaux jours de printemps soient arrivés, il y a parfois des jours bien gris comme aujourd'hui. Il y avait longtemps que n'étions pas allés nous balader dans le stationnement du cégep. L'endroit était désert – si ce n'était que de cette femme qui y avait elle aussi trouvé un peu de calme et d'horizon, et travaillait à l'ordinateur sur une table de pique-nique.

Entre deux jeux imaginaires, nous avons écouté le chant des oiseaux, qui sont très nombreux dans ce grand îlot où poussent plusieurs grands arbres. Un merle d'Amérique était perché sur l'arbre planté dans le terre-plein que tu appelles ta fusée. Il jasait et sautait parfois de branche en branche. Voulant le photographier pour montrer comme il était bien camouflé, je l'ai accidentellement capté en plein envol. Bien qu'en très petit sur la photo, l'arrêt sur image de son plumage déployé est de toute beauté. Une fraction de seconde dans l’infini.

De retour à la maison, je t'ai sorti une loupe pour que tu observes en détail les pousses de poivrons qui commencent à sortir de terre. Comme c'était la première fois que tu manipulais cet instrument, ses effets t'ont rapidement fasciné.

Je t'ai aussi montré que la loupe pouvait déformer les traits du visage... les tiens, plus exactement!