Le temps tombé du ciel : semaine 11 / La vie au temps du coronavirus / Photographe documentaire à Montréal

23 mai

L'annonce de la reprise de service pour les photographes, hier, a un peu chamboulé ma fin de semaine.

Aujourd'hui, j'ai donc travaillé un peu à l'élaboration d'un plan de match professionnel pendant que tu jouais avec Papa au parc et dans la ruelle.

Je vous ai ensuite rejoints pour une virée dans le stationnement du collège en famille : c'est que tu es gêné de te pratiquer à faire du vélo d'équilibre devant les amis de la ruelle. Tu trouves qu'ils vont bien vite, eux, avec leur vélos de grands! Même la petite de trois ans qui habite en arrière file à vive allure sur sa draisienne. Alors nous t'avons accompagné pour que tu gagnes en assurances et en confiance en tes moyens avant de t'élancer devant les autres.

Pendant que nous y étions, ton père a grimpé dans un des arbres qui trônent au milieu du stationnement, et t'a hissé en haut avec lui. Tu étais excité, mais tu avais aussi un peu peur. C'est normal!

En après-midi, nous nous sommes amusés dans la cour : tu as coupé du gazon avec des ciseaux, nous avons mis un drap par terre pour jouer au jeu de mémoire, et puis tu t'es enveloppé dedans pour te cacher.

Après avoir soupé sur le balcon, nous avons profité des splendeurs du coucher de soleil dans la ruelle – jusqu'aux derniers rayons, qu'on ne voit normalement jamais. Tu t'es couché tard, mais tu en as eu plein les yeux – nous aussi.

24 mai

De rares jours, je n'ai pas envie de prendre de photo. C'est souvent le dimanche, quand nous somme occupés à profiter de la vie à trois. On a joué, on a fait des courses et on est allés prendre l'apéro chez des amis (on a le droit maintenant, depuis vendredi! À 2 mètres) sans repasser à la maison – donc je n'avais pas ma caméra pour immortaliser tout ça.

Pour terminer la journée, on a soupé tard (on a un nouveau barbecue!), tu t'es encore couché tard, et nous avons appelé une veilleuse en renfort pour t'accompagner vers le sommeil.

25 mai

Montréal se déconfine de plus en plus avec la réouverture des commerces non-essentiels. Je peux donc reprendre le travail! (Même si je m'occupe encore de toi quelques semaines, jusqu'à ce que ta place en garderie soit prête.)

Aujourd'hui, tu as reçu du courrier de tes grands-parents : une enveloppe remplie de collants – et d'une belle photos d'eux ensemble. Tu t'es empressé de vider la page de voitures, les agençant d'abord dans une mise en scène d'accident, sur une grande feuille de papier. Les camions de pompiers qui se sont foncés dedans à une intersection, les ambulances qui accourent, les embouteillages, les pancartes qui indiquent la direction à suivre... Tout y était – c'est le cas de le dire. Tu t'es ensuite mis à transférer les collants sur tes objets, dans de petites mises en scène. Sur ma main, tu as collé une flèche de sens unique : « c'est pour dire que la bague est ici. »

26 mai

Au début du moi, nous enfilions encore nos manteaux d'hiver pour aller trottiner dans le quartier. Soudainement, c'est la canicule! Tu adores te saucer dans ta petite piscine – qui est à peine plus grande que le bain. Tu aimes encore plus les jets d'eau! Pour une première année, tu apprécies te faire arroser. Cet après-midi, l'arrose-gazon a donc servi de jeux d'eau de ruelle, au grand bonheur de toi et tes copains. Ça me rappelait mon enfance, le béton en moins.

La lumière, l'eau, le mouvement et ta voix enthousiaste... C'était une vision si belle et dynamique! Dans le feu de l'action, j'ai documenté le tout en vidéo seulement)

En fin de journée, tu aurais bien aimé rejoindre les filles pour leur entraînement bootcamp dans la ruelle.

27 mai

La canicule continue. Ce matin, nous nous sommes rendus à la fontaine du marché Maisonneuve. Les gouttelettes échappées des hauts jets ne suffisaient pas à nous rafraîchir. Rapidement, tu as souhaité rentrer à la maison pour jouer dans ta petite piscine. Tout nu! À vrai dire, par les temps qui courent, tu as souvent envie d'enlever tes vêtements.

Plus tard, pour terminer la journée en beauté, nous sommes sortis nous balader pour admirer les lilas en fleurs dans le voisinage. C'est une vision et un parfum qui me ravissent de plus en plus à chaque année. (À bien y penser, depuis l'année de ta naissance, je crois.)

En chemin, tu as eu l'idée te mettre ta force à l'épreuve en soulevant un pavé. Tu as vite compris ta mauvaise idée... C'est un gros bobo que tu t'es fait dans le silence le plus total. Ta grimace de douleur a suffi – mais tu ne t'es pas manqué! Je crois que tu ne t'y reprendras plus.

28 mai

Il est finalement arrivé : le bout du rouleau. Deux mois et demi plus tard. Tout ce temps que nous passons ensemble commence à me peser. Il ne me reste plus beaucoup de patience, envers toi, envers moi, envers cette réalité familiale de mère-au-foyer-dévouée-toute-entière-à-l'autre. Je t'aime, mais j'aurais besoin d'une pose. Lire, écouter de la musique, chanter, sortir marcher à la brunante. C'est choses que j'aime qu'il est difficile – voire impossible – de réaliser quand je suis toujours « de garde ». Ce journal de confinement, passion et exercice vital, me garde le nez dans ces journées avec toi. Pour le meilleur et pour le pire. Je m'efforce que le meilleur rayonne!

Nous avons eu la visite d'une amie au parc. Ça a fait du bien, en plus de relativiser nos maux de confinement. Parole de célibataire : « Ça fait des mois que je n'ai touché à personne ». T'imagines? Quelle chance d'avoir été confinés en famille, câlins à volonté.

En après-midi, nous avons sorti la peinture à l'eau. Tu as peint une grotte vue du ciel quand tu es passé en parachute (!), amalgame entre un vidéo de parachute et un article sur la spéléologie que je t'ai montré cette semaine.

En soirée, nous avons inauguré avec beaucoup de bonheur notre table de balcon. C'est un plaisir que nous renouvelons enfin, après 3 ans sans déjeuner à l'étage. D'en haut, on voit encore mieux les arbres, les lignes tes toits, on observe mieux notre coin de ville. Ton père était si heureux... et toi aussi. (et moi donc, puisqu'il nous a pris ces belles photos)

29 mai

D'où venait ce malaise qui t'a rendu malade ce matin?

Nous ne le saurons pas.

Je me suis simplement occupée de toi.